Directive européenne sur le secret des affaires, transposition en droit français

« La saga secret des affaires » va sans doute trouver son épilogue après le dépôt d’une proposition de loi [1] ( N° 675 le 19 Février 2018) qui vise à transposer en droit français la directive 2016/943 du 8 juin 2016.

La transposition reflète assez fidèlement le contenu de la directive, mais est très en retrait par rapport aux précédentes propositions ou projets et notamment à celui que Monsieur Emmanuel Macron avait tenté d’insérer dans sa loi sur la croissance et l’activité et qu’il avait du retirer sous la pression populaire et l’absence de soutien de l’exécutif de l’époque.

Le principe de la directive comme celui de la proposition de loi est assez simple :  Pour bénéficier d’une protection légale du secret des affaires, il faut prendre des mesures de protection numériques humaines et organisationnelles.

Le texte est perfectible notamment sur la définition de l’acquisition illicite (futur article  L. 151-3. du Code de commerce) et il faut s’interroger sur le bien fondé de l’abandon de la protection pénale du secret des affaires et l’absence de réforme de la  loi de blocage de 1968.

D’après nos informations, les auditions de la commission des lois devraient commencer dès le 8 Octobre 2018.

Texte de la proposition de loi

PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Le livre Ier du code de commerce est complété par un titre V ainsi rédigé :

« titre V
« DE LA PROTECTION DU SECRET DES AFFAIRES

« Chapitre Ier

« Section 1
« De l’information protégée
« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires toute information présentant l’ensemble des caractéristiques suivantes :
« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de cette catégorie d’information ;
« 2° Elle revêt une valeur commerciale parce qu’elle est secrète ;
« 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables pour en conserver le secret.

« Section 2
« Des détenteurs légitimes du secret des affaires
« Art. L. 151-2. – Est détenteur légitime d’un secret des affaires au sens du présent chapitre celui qui l’a obtenu par l’un des moyens suivants :
« 1° Une découverte ou une création indépendante ;
« 2° L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information ;
« 3° L’expérience et les compétences acquises de manière honnête dans le cadre de l’exercice normal de son activité professionnelle.
« Est également détenteur légitime du secret des affaires au sens du présent chapitre celui qui peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 151-6 ou celui qui n’a pas obtenu, utilisé ou divulgué ce secret de façon illicite au sens des articles L. 151-3 à L. 151-5.

« Section 3
« De l’obtention, de l’utilisation et de la divulgation illicites
« Art. L. 151-3. – L’obtention du secret des affaires est illicite lorsqu’elle intervient sans le consentement de son détenteur légitime et en violation d’une ou plusieurs des mesures suivantes prises pour en conserver le caractère secret :
« 1° Une interdiction d’accès à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique ou d’appropriation ou de copie de ces éléments, qui contiennent ledit secret ou dont il peut être déduit ;
« 2° Une interdiction ou une limitation contractuellement prévue d’obtention du secret des affaires.
« L’obtention du secret des affaires sans le consentement de son détenteur est également illicite dès lors qu’elle résulte de tout comportement déloyal contraire aux usages en matière commerciale.
« Art. L. 151-4. – L’utilisation ou la divulgation du secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions prévues à l’article L. 151-3 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.
« La production, l’offre ou la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de tout produit résultant de l’atteinte au secret des affaires sont également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exerce ces activités savait, ou ne pouvait ignorer au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon illicite au sens du précédent alinéa.
« Art. L. 151-5. – L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, une personne savait, ou ne pouvait ignorer au regard des circonstances, que ledit secret des affaires avait été obtenu directement ou indirectement d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 151-4.

« Section 4
« Des dérogations à la protection du secret des affaires
« Art. L.151-6. – I. – Le secret des affaires n’est pas protégé lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union ou le droit national.
« Cette protection n’est également pas due lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est intervenue :
« 1° Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ;
« 2° Pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte tel que défini par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
« 3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national, et notamment pour la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique.
« II. – Le secret des affaires n’est également pas protégé lorsque :
« 1° L’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et la consultation des salariés ou de leurs représentants ;
« 2° La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.

« Chapitre II
« Des actions en prévention, en cessation ou en réparation
d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 152-1. – Toute atteinte au secret des affaires telle que prévue aux articles L. 151-3 à L. 151-5 engage la responsabilité civile de son auteur.

« Section 1
« Des mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte
au secret des affaires
« Art. L. 152-2. – I. – Dans le cadre d’une action relative à la prévention ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires, la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires. Elle peut notamment :
« 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;
« 2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de l’atteinte au secret des affaires, ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;
« 3° Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.
« II. – La juridiction peut également ordonner que les produits résultant de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas, confisqués au profit de la partie lésée.
« III. – Lorsque la juridiction limite la durée des mesures mentionnées aux 1° et 2° du I, cette durée doit être suffisante pour éliminer tout avantage commercial ou économique que l’auteur de l’atteinte au secret des affaires aurait pu tirer de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret des affaires.
« IV. – Sauf circonstances particulières et sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés, l’ensemble des mesures mentionnées aux alinéas précédents sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte.
« Elles peuvent être révoquées à la demande de l’auteur de l’atteinte lorsque les informations concernées ne peuvent plus être qualifiées de secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 pour des raisons qui ne dépendent pas directement ou indirectement de lui.

« Section 2
« De la réparation d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 152-3. – Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend notamment en considération :
« 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée ;
« 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
« 3° Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.
« La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tienne notamment compte des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
« Art. L. 152-4. – Sans préjudice des dispositions de l’article L. 152-3, la juridiction peut ordonner, à la demande de l’auteur de l’atteinte, le versement d’une indemnité à la partie lésée aux lieu et place des mesures mentionnées à l’article L. 152-1 quand l’ensemble des circonstances suivantes sont réunies :
« 1° Lorsqu’au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ;
« 2° L’exécution des mesures mentionnées à l’article L. 152-1 causerait à cet auteur un dommage disproportionné ;
« 3° Le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant.
« Cette indemnité ne peut être fixée à une somme supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser ledit secret des affaires pour la période pendant laquelle l’utilisation du secret des affaires aurait pu être interdite.

« Section 3
« Des mesures de publicité
« Art. L. 152-5. – La juridiction peut ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.
« À cette fin, la juridiction prend en considération, le cas échéant, la valeur du secret des affaires, le comportement de l’auteur de l’atteinte lors de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation de ce secret, l’incidence de l’utilisation ou de la divulgation illicite dudit secret et la probabilité que l’auteur de l’atteinte continue à l’utiliser ou le divulguer de façon illicite.
« Elle prend également en considération le fait que les informations relatives à l’auteur de l’atteinte seraient ou non de nature à permettre l’identification d’une personne morale et, dans l’affirmative, le fait que la publication de ces informations serait ou non justifiée, notamment au regard du préjudice éventuel que cette mesure pourrait causer à la vie privée et la réputation de celui-ci.
« Lorsqu’elle ordonne une telle mesure, la juridiction veille à protéger le secret des affaires dans les conditions prévues à l’article L. 153-1.
« Les mesures ordonnées sont aux frais de l’auteur de l’atteinte.

« Chapitre III
« Des mesures de protection au cours des actions en prévention,
cessation ou réparation d’une atteinte au secret des affaires
« Art. L. 153-1. – Lorsque, à l’occasion d’une action relative à la prévention, à la cessation ou à la réparation d’une atteinte à un secret des affaires, il est fait état d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office, à la demande des parties ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être autrement assurée et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
« 1° Prendre seul connaissance de cette pièce, limiter sa communication ou sa production à certains éléments, en ordonner la communication ou la production sous forme de résumé et en restreindre l’accès à certaines personnes ;
« 2° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée hors la présence du public ;
« 3° Adapter la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires.
« Art. L. 153-2. – Toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient.
« Dans le cas d’une personne morale, l’obligation prévue à l’alinéa précédent s’applique à ses représentants légaux ou statutaires.
« Les personnes ayant accès à la pièce ou à son contenu ne sont liées par cette obligation ni dans leurs rapports entre elles ni à l’égard des représentants légaux ou statutaires de la personne morale partie à la procédure.
« Les personnes habilitées à assister ou représenter les parties ne sont pas liées par cette obligation de confidentialité à l’égard de celles-ci, sauf en cas de mesures prises par le juge au titre du 1° de l’article L. 152-5 pour restreindre l’accès d’une ou plusieurs pièces à certaines personnes.
« L’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la procédure. Toutefois, elle prend fin si une juridiction décide, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, qu’il n’existe pas de secret des affaires ou si les informations en cause ont entretemps cessé de constituer un secret des affaires ou sont devenues aisément accessibles. »
Article 2
Après le quatrième alinéa de l’article L. 950-1 du code de commerce est inséré un alinéa rédigé :
« Les articles L. 151-1 à L. 153-2 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° 2018-       du        portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. »

Publié le 7 mars 2018 par Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour, spécialisé en intelligence économique et en droit de la sécurité privée.

Pour me contacter :
Courriel : juaye@france-lex.com
Téléphone au 01 40 06 92 00 (8h-20h en semaine – 8h-13h le samedi).

Partagez cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *