Article paru dans la revue En toute sécurité.
Il y a dans le duo des députés Fauvergue et Thourot quelque chose qui rappelle la Pénélope d’Ulysse (pas celle de Fillon !) : ils font et défont la tapisserie de la sécurité en retirant leur proposition de loi déposée en janvier 2020 pour en redéposer une nouvelle.
Il est vrai qu’une actualité brulante a changé de nombreux paramètres.
Ce nouveau texte comporte des éléments intéressants tout en sachant que le livre blanc sur la sécurité devrait être diffusé, sauf retournement de calendrier, à la fin de l’année 2020.
En effet, le second texte des deux députés contient une nouvelle fois des propositions sur les polices municipales, notamment avec la possibilité d’en créer une sur Paris, sur l’utilisation des drones, et sur la sécurité privée.
Mais examinons simplement les propositions concernant la sécurité privée.
1. SOUS-TRAITANCE
Comme dans la précédente proposition, le nouveau texte prévoit une réglementation de la sous-traitance avec cependant des assouplissements par rapport à ce qui était présenté en janvier 2020.
Il ne sera pas possible de sous-traiter la totalité d’un marché.
Le sous-traitant ne pourra en confier une partie de son exécution à un ou plusieurs sous-traitants de niveau 2 ou ultérieur qu’à la double condition :
« 1° De justifier de l’absence d’un savoir-faire particulier, de moyens ou de capacités techniques non satisfaits ou d’une insuffisance ponctuelle d’effectifs ;
« 2° De faire accepter préalablement et par écrit le ou les sous-traitants avec qui il envisage de contracter, par le donneur d’ordre bénéficiaire de la prestation de sécurité ainsi que, le cas échéant, par chacune des entreprises s’étant vue sous-traiter la prestation de sécurité qu’il exécute « .
Le non-respect des dispositions propres à la sous-traitance sera sanctionné pénalement (45.000 euros d’amende).
Dans la précédente proposition, les deux députés souhaitaient purement et simplement interdire la sous-traitance à deux niveaux. Il n’est pas sûr que les nouvelles dispositions apportent la sécurité espérée par les professionnels et l’on peut s’interroger sur l’objectif poursuivi par les deux députés : par ce texte est-ce un moyen dissimulé de faire machine arrière sur ce qu’ils avaient proposé ?
2. CNAPS
Le fonctionnement du CNAPS a fait l’objet de nombreuses critiques tant de la part de la Cour des comptes que des deux députés dans leur rapport sur le continuum de sécurité.
Il n’est donc pas surprenant de trouver des dispositions tendant à renforcer ses pouvoirs et à améliorer son efficacité. Mais, à mon sens, les réformes de fond ne sont pas engagées et les problématiques restent ouvertes et il n’y a pas de véritables réponses aux critiques notamment de la Cour des Comptes.
Les propositions des deux députés sont donc les suivantes :
- Interdiction de recruter des agents du CNAPS sous statut de droit privé
- Possibilité pour les agents du CNAPS d’établir des procès-verbaux à la condition d’être commissionnés et assermentés ;
- Possibilité de contrôler l’identité d’une personne, et si cette dernière refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité, l’agent qui dresse procès-verbal en rend compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent, qui peut alors la lui retenir pendant le temps nécessaire à son arrivée ou à celle d’un agent de police judiciaire agissant sous son contrôle. À défaut de cet ordre, l’agent du Conseil national des activités privées de sécurité ne peut retenir la personne concernée. « Pendant le temps nécessaire à l’information et à la décision de l’officier de police judiciaire, la personne concernée est tenue de demeurer à la disposition de l’agent du Conseil national des activités privées de sécurité. La violation de cette obligation est punie de deux mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. Le refus d’obtempérer à l’ordre de suivre l’agent pour se voir présenter à l’officier de police judiciaire est ordonner sans délai de lui présenter sur-le-champ la personne concernée.
- Publication des décisions prononcées par le CNAPS, ce qui est une version moderne du pilori. À cet égard, le CNAPS devrait mettre en ligne ses décisions de manière anonymisée pour répondre aux impératifs de l’open data.
3. CONDITIONS D’ACCES A LA PROFESSION
Les deux députés proposent de réformer les conditions d’accès à la profession.
Tout d’abord, seules certaines condamnations pour des faits très graves mentionnés sur le B2 pourraient conduire à une interdiction d’exercer la profession. Ces faits sont énumérés avec une liste à la Prévert. Mais le 2ème alinéa de l’article L. 612-20 du Code de la sécurité intérieure n’est pas corrigé et l’accès à la profession ou son interdiction pourront continuer sur la base de motifs aussi subjectifs que « des comportements ou agissements… contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat ».
L’article L. 612-7 du même Code qui concerne les agréments sera modifié en conséquence.
Les violences ou le meurtre d’un agent de sécurité privée sont considérés comme une circonstance aggravante comme c’est le cas lorsqu’il s’agit de magistrats, jurés, policiers, etc.
Les menaces contre un agent de sécurité privé sont aussi sanctionnées (article 433-3 du Code pénal).
Sans prévoir le port d’un uniforme, il est proposé qu’il y ait des signes d’identification communs à tous les agents.
Une personne ayant été interdite d’exercer dans la sécurité privée (agent, dirigeant etc) ne peut être employée ou exercer une activité de formation.
Un niveau de français serait requis – ce niveau sera défini après décret en Conseil d’Etat.
Le gouvernement devra remettre dans les 18 mois de la promulgation de la présente loi un rapport sur l’opportunité de soumettre au Livre du VI du Code de la sécurité intérieure les activités suivantes :
» – la conception, l’installation et la maintenance des dispositifs de sécurité électronique ;
– la fourniture de services de conseil dans les domaines de la sécurité et de la sûreté ;
– la fourniture de service de sécurité à l’étranger « .
4. DISPOSITIONS QUI ONT DISPARU
À la lecture de la nouvelle proposition, force est de constater que des propositions importantes ont disparu dans la nouvelle proposition.
Tout d’abord, dans la proposition de janvier, les deux députés suggéraient la création d’un contrat de travail de mission dont la durée aurait été égale à celle du contrat de leur employeur avec la société donneur d’ordre. Un tel contrat aurait été notamment très utile pour les sociétés de sécurité intervenant ponctuellement par exemple dans de l’événementiel. Il ne faut que regretter la disparition de ce contrat de mission qui aurait permis de donner de la souplesse à un droit du travail souvent trop rigide par rapport aux contraintes de la sécurité privée.
Exit également la garantie financière que les professionnels de la sécurité auraient voulu et qui aurait fonctionné comme celle des sociétés d’interim.
Le dépôt de la proposition de loi montre qu’une partie de la réglementation applicable à la sécurité privée doit être modifiée. Mais la nouvelle proposition des députés Fauvergue et Thourot est sans doute très en deçà de ce que l’on pouvait attendre.
Pour la revue En toute sécurité, par Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour, spécialisé en intelligence économique et en droit de la sécurité privée.
Publication sur ce blog le 10 novembre 2020.
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